Soumettre une nouvelle à votre lecture - Arts & Lecture - Discussions
Marsh Posté le 08-11-2007 à 22:23:52
Franchement pas mal je trouve, il y a quelques ptites fôtes et c'est un peu fouillis des fois à mon goût, mais trés vivant, bien amené, sympa à lire.
Marsh Posté le 08-11-2007 à 19:37:55
Bonjour à tous. Voilà, comme beaucoup de monde, j'aime bien écrire des textes, et je voudrais vous montrer une des nouvelles que j'ai achevé:
Tout était beau chez Anna Netrebko, depuis ses yeux, jusqu'à sa bouche, son visage et sa magnifique, indescriptible, que dis-je! Sa voix enchanteresse!
Peut-on être ému sans connaître quoique ce soit à l'opéra? Verdi était un géni, je suis tombé amoureux de son oeuvre à la première écoute, et tout cela parce qu'elle était sur scène, naturelle, dramatique, oh ma Violetta!... Ce soir, les rues de Salzburg son froides, le brouillard stagne, s'infiltre en moi, me mouille, me fait frissonner, et je n'ai qu'une hâte, qu'elle me fasse frissonner: elle, cette grande Dame. Ainsi je pénètre dans le hall: sur la gauche, un homme vêtu d'un uniforme bleu accroche des vestes et des manteaux sur des ceintres, à ma droite, on fait visiter le bâtiment à un groupe de touristes, et devant: la porte aux merveilles, aux rêves, aux chagrins; les fauteuils de velour rouge succèdent à une épaisse moquette rouge; tout ici est grand, depuis la scène, en passant par les balcons, le lustre de crital... Calme tes ardeurs! Dis-je à mon excitation. Je retrouve mon air sobre, mon visage aussi inexpressif et figé qu'un masque de tragédie grecque. Je lisse du revers de la main le tissu retouché de mon costume noir, lavé défroissé repassé aujourd'hui même; cravate rouge, pas le moindre plis, non pas un seul! Le protocole mon grand! Ou tu n'est pas digne de l'écouter! Mais calme donc tes ardeurs!
Braises rouges.
Tout est beau chez Anna Netrebko. Sa voix vibre avec une exquise délicatesse dans la grande et luxueuse salle où costumes sombres et robes de soirée sont de rigueur. Sur ce point: irréprochable. Les règles appliquées à la lettre: costume sombre, cravate rouge, non pas le moindre plis non! Et que vois-je? Du rouge, du noir, du Beau: Anna Netrebko resplendit dans sa magnifique robe rouge. Magnifique, c'est ce mot insignifiant qui reste collé à mes lèvres, qui sort de ma bouche, tant la voix d'Anna est inqualifiable. Les puristes diront qu'on peut aisément décrire sa voix, dire qu'elle est charnue, dramatique: les mauvaises langues pesteront même sur quelques faiblesse techniques, qu'importe?
Tout sera beau chez Anna Netrebko. Et ce même dans dix ans, lorsque les rides auront silloné son visage, lorsque quelques légères faiblesses à peine perçeptibles auront raison de sa superbe voix, lorsque Violetta Valéry qu'elle incarne arborera des cheveux ternes: ses yeux hypnotiques n'auront pas perdu de leur éclat.
Je me souviens très bien avoir regardé une autre version de la Traviata avec ma femme; le nom de la cantatrice ne me revient pas, en revanche, je vois encore en esprit chaque accent de sa voix trop technique, trop instable, je me souviens de chaque mine et expression de sa figure au maniérisme agaçant, je me souviens encore et surtout de ce talent gâché par son mauvais jeu scénique. Aussitôt l'opéra fini, je m'empressai d'aller dissimuler la vidéo: Dieu! Que je n'ai plus jamais à entendre cela.
Anna est sur scène, grande dans la petitesse de son personnage, noble dans la misérable condition de courtisane de Violetta Valéry. Je braque mes jumelles sur elle et M. Villazone: elle se trouvera bientôt à l'endroit prévu, sur ce refrain tant attendu, pour lequel j'ai payé mon costume et ma place. Ses mouvements sont précis, calculés et pourtant si vrais, mes gestes se doivent d'être eux aussi d'une grande finesse, à l'endroit prévu, au refrain attendu. Violetta n'est pas encore morte que déjà ma vue se brouille de larmes de tristesse et de bonheur. « Même morte, je t'aimerais encore », dit-elle, pitoyable et attachante. Et moi donc! Même morte, je t'aimerais encore! Ô combien! « Elle n'en a plus que pour quelques heures », annonce M. de Grenvil, le médecin, dans son pieux mensonge: voilà à quoi m'ont servi mes quatres années d'Italien. J'imbibe ma manche droite de mes pleurs, tant pis pour le costume, il faut que ma vue reste claire: pour rien au monde mon regard ne doit se détacher d'elle; pour tout l'or du monde je ne détournerai pas mon attention de sa voix, et cela jusqu'à l'endroit prévu, jusqu'au refrain attendu. Violetta a troqué son élégante robe rouge contre une chemise de nuit et une ample veste noire. Je l'entends encore chanter « Addio del passato ». C'est tellement beau dans sa version originale que mon esprit ne se donne même plus le mal de traduire. A quoi bon? Tant que je l'écoute, tout va bien. Tant que je la vois, tout va pour le mieux.
Une seule chose m'angoissait en entrant: qu'on ne me laisse pas prendre ma place flanqué de ma malette. J'ai pris le soin d'amener mon propre équipement, leur espèces de lunettes pour voir les chanteurs ne sont que de la pacotillle, et j'ai bien mieux à ma disposition: une lunette qui permet de zoomer. J'avais trop peur qu'on ne me laisse pas accéder à la salle, j'ai donc dû emprunter un chemin plus sûre, par les coulisses, en évitant le personnel de sécurité, c'est ainsi que je me suis rendu à l'avant-plus-haut-balcon. Ce balcon-ci offre une vue imprenable, fort heureusement. Je visse la lunette sur son support, mon inquiétude se manifeste d'une manière plus contraignante que prévu, traduite par d'abondantes sueurs sur le front, et par les mains moîtes. La peste soit des mains poisseuses! Pas le moindre plis non calme tes ardeurs mais bon dieu écoute là et tes mains moîtes! Ce sont elles qui me font mal adhérer à mon équipement. J'approche la lunette de mon oeil droit. Le viseur est prêt.
Tout est beau chez Anna Netrebko; depuis ses yeux, jusqu'à sa bouche, à son teint blême sous la lueur bleueté des projecteurs. Même grimée en malade, elle rayonne et rayonnera jusque dans la mort... Oh Violetta! Oh Anna! Si je le pouvais, j'accourrais sur scène et lui baiserais les pieds, comme à une reine. Elle est sur scène, une déesse de la mélomanie dans son humaine condition de femme, et je suis comme elle, prisonnier de ma simple condition d'admirateur; je ne crois pas mentir en disant que je suis tombé amoureux de sa voix dès l'instant où je l'ai écoutée. Quelques amis, des passionnés de longue date, m'ont confiés qu'ils n'avaient jamais rien vu de si splendide que cette salle d'opéra; pour ma part, si je la trouve belle, c'est parce qu'Anna Netrebko y chante. Pour rien au monde je ne veux rater ce refrain, je l'ai attendu, j'ai savouré chaque note de la Traviata durant deux si courtes heures; chez moi, au besoin – dans l'éventualité où il m'échappait – je procédais à une rapide marche arrière, mais ici, tout est différent. Mon coeur palpite, je savoure chaque note qui s'évade de sa bouche, mon sang ne semble pas faire trois tours en une minute, sa voix me semble éternelle, chacun de ses gestes gracieux se décomposent en mille autres; mes mains suent, ma lunette tremble, et cela car je n'ai pas le droit à l'erreur: il me sera impossible de retourner en arrière.
Est-ce le comble de l'émotion que j'atteins? Difficile à juger. Je n'ai pas versé une larme pour mon marriage, et ce soir, j'ignore toujours si c'est l'excitation ou bien l'angoisse qui font courir mes mains sur mon équipement. Je resserre les doigts autour de la lunette et de la gâchette. Je tremble: ces désagréments ne m'ont pourtant jamais pris une seule fois en sept ans de métier. A bientôt, pour bientôt. Ce sera sa chère voix que je regretterais le plus. Sa magnifique, son indescriptible, que dis-je! Sa voix enchanteresse! Je lutte pour rester concentrer, le chargeur s'enboîte dans un petit cliquetis de métal.
« Elle s'est éteinte! », clament-ils, tragiques.
L'orchestre triple l'intensité de la mélodie: les cynballes! Les vents! Leur voix! Le coup part sans que quiquonce le remarque, sauf moi évidemment. Je souffle sur le mince filet de fumée que crache le canon. Je vois déjà les gros titres des journaux: « tragédie à Salzburg. Ce passage, mémorable interprétation de la Traviata, marque d'une pierre blanche la fin de la carrière de cette cantatrice enchanteresse qu'était Anna Netrebko. » J'essuie mes larmes du revers de ma manche gauche, tandis que ma très chère Anna croûle sous les applaudissements et les ovations des spectateurs. Des roses rouges lancées sur la scène viennent réhausser son teint pâle. Elle a les yeux ouverts, agîtée d'une étrange gestuelle figée et plaintive. Les applaudissements redoublent. Anna joue superbement, chante superbement. Elle avait l'habitude de saluer humblement le public, une main posée au dessus de la poitrine, parce que cela fait chaud au coeur, les yeux pleins de gratitude.
Mon équipement me reste entre les mains; c'est tout ce qui me reste, un adieu au passé. Sa voix sublime s'est tue. Je sens encore entre l'index et le majeur la graisse laissée par l'unique balle lubrifiée qu'il m'a fallu pour éxécuter le contrat. La tâche rouge s'étend sur sa veste. Si belle, dans sa robe rouge.
Tout fut beau chez Anna Netrebko. Mais ce soir: Anna ne se relèvera pas.