Histoire de l'Art : sujet classieux et distingué. [Topikunik] - Arts & Lecture - Discussions
Marsh Posté le 04-02-2008 à 00:47:35
Alors mes loulous, pour notre premier sujet d’étude aujourd’hui, allons vers la sculpture grecque, admirable sujet s’il en est. Je vous propose un sujet d’étude stylistique sur un sphinx. LE Sphinx, celui des Naxiens. Accrochez vos ceintures, et en route.
Le Sphinx des Naxiens, ex-voto monumental de l’époque archaïque de la Grèce Antique, est aujourd’hui certainement le sphinx grec le plus connu. Il est exceptionnel de par son gigantisme (232 centimètres de hauteur, 135 centimètres de longueur), ainsi que par son rôle, qui n’est toujours pas aujourd’hui établi de manière précise. Originaire de l’île de Naxos, alors riche île de la Mer Egée, on le date généralement de ca. 580 a .c., soit durant l'ère Archaïque. Taillé dans un bloc de marbre à paillettes de Naxos, il présente de nombreuses caractéristiques stylistiques permettant de l’attribuer aux Naxiens. Son style très épuré contraste avec un raffinement, notamment visible sur les ailes, représentatif de la puissance et de la richesse de l’île de Naxos.
Il a été retrouvé à Delphes, au cœur du sanctuaire dédié à Apollon. A l’origine juché sur une colonne de 9,90 mètres de hauteur, il surplombait l’ensemble du site, lui conférant pour certains un rôle de gardien, de motif funéraire, voire de simple repère visuel. La colonne, composé de six tambours, était surmontée d’un chapiteau d’ordre ionique à doubles volutes et d’une plinthe en pierre sur lequel était posé le Sphinx. Outre l’absence d’abaque, on notera les proportions étonnantes du chapiteau, long de 186 centimètres et large de seulement 70 centimètres. Il est très difficile de donner l’orientation du Sphinx, aucune trace écrite n’étant disponible. On tend cependant à l’orienter en direction du Nord-est .
Conservé au musée archéologique de Delphes, le Sphinx a été découvert en 1861 par deux membres de l’Ecole Française d’Athènes, sur le site antique du sanctuaire d’Apollon, à Delphes. A côté des trois principaux fragments du sphinx, ils découvrirent trois tambours de colonnes et deux fragments de chapiteaux. Ils mirent également à jour un socle cylindrique en pierre portant une inscription gravée : cette inscription était un décret accordant au peuple des Naxiens (de l’île de Naxos, plus grande île de la Mer Egée) le privilège de la promantie. Ce privilège donnait aux Naxiens venus consulter l’Oracle de Delphes la priorité sur les autres citoyens des Cités grecques.
De nouvelles fouilles, en 1893 et 1894 permirent l’apport de nouveaux éléments, qui conduisirent à l’acceptation de l’appartenance du Sphinx et de la colonne à un seul monument. Il fut restauré au début du XX ème siècle de manière sûre, peu d’éléments étant manquants : du plâtre fût utilisé pour raccorder les cassures, et les pattes antérieures, seuls éléments presque entièrement manquants, furent crées ex nihilo.
Etude stylistique
Le visage du Sphinx des Naxiens est ovoïde, ce qui est une spécificité de Naxos, partagée notamment avec un autre Sphinx conservé à Délos. Elle est très haute mais peu large, rappelant ainsi l’ensemble du Sphinx : le regarder de face devait être déroutant (ce qui tend également à laisser penser qu’il devait être orienté de manière à ce qu’il ne puisse être regardé que de profil). Comme le reste de la Statue, le visage était entièrement peint.
Les yeux sont grands, triangulaires, soulignés par des paupières et une arcade sourcilière prononcée. L’iris est légèrement creusé, il devait certainement être peint en noir, le fond de l’œil étant blanc. Le nez a été détruit à une date inconnue (la tête ayant été retrouvé après le reste du corps, enchâssée dans un mur). La bouche, droite, est finement étirée en un sourire mystérieux : les lèvres, bien en relief, sont serrées, mais les commissures à leurs extrémités sont profondément creusées vers le bas, créant l’impression que le Sphinx sourit. Plus bas, le menton, légèrement fuyant. On notera également l’absence de pommettes, permettant ainsi la stricte ovoïdie du visage, et donnant au Sphinx son aspect déroutant, presque plat lorsqu’on le regarde de face, ainsi que la faible hauteur du front.
La coiffure au nœud d’Héraclès correspond aux standards de l’époque : les cheveux tressés d’avant en arrière retombent sur les épaules par quatre parotides, et sont surmontés d’une coiffe. Le front et les tempes sont bordés par une succession de boucle de cheveux rigoureusement tressés, coiffés d’une calotte arrondie au motif ciselé dans le sens de la longueur et finement barré dans le sens de la largeur, et nouée au dessus de la. Les parotides, sortes de tresses formant des boules d’épaisseur décroissantes, sont au nombre de quatre. Deux descendent sur les épaules, passant derrière les oreilles bien dégagées, et les deux autres descendent de part et d’autre du nœud d’Héraclès, le long de la nuque, jusqu’à la jointure des ailes.
On notera ici la simplicité, voire même la sévérité du visage ovale, dont les traits rappellent également ceux des kouroi, bien que certains y aient vu des traits androgynes. Les couleurs utilisées pour la peinture devaient peut-être lui donner un aspect moins austère, peut-être plus intimidant, le pourtour de l’œil, l’iris et les sourcils devant certainement être colorés en noir. Enfin, on notera que le Sphinx des Naxiens, tout comme celui de Délos, n’a pas la tête tournée par rapport au corps. En reprenant les suppositions faites sur son orientation, on peut penser qu’il était impossible d’avoir un aperçu complet de son visage, sa grande hauteur par rapport au sol y contribuant.
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Le Sphinx des Naxiens emprunte deux éléments aux oiseaux de proie : le poitrail couvert de plumes et les deux ailes indépendantes relevées en faucille. Le buste tout d’abord, à la verticale du nez et donne une forte impression de puissance, de musculature. Il est orné d’un corselet d’entailles en chevrons donnant l’impression de plumes stylisées. La séparation avec la tête est assurée par un fin liseré en relief. On notera sur le bas du poitrail la légère ondulation des lignes de chevrons qui suit ainsi le léger creux formé par le torse. Les plumes débordent sur les épaules par un triple filet se prolongeant vers les ailes. On notera également que si la physionomie du poitrail est bien celle d’un lion, le sculpteur l’aura volontairement mêlée à des éléments issus d’un oiseau afin de bien marquer qu’il s’agit du prolongement naturel des ailes.
Les ailes elles-mêmes suivent également un mouvement très fluide : l’arc de cercle du sommet de la nuque jusqu’au sommet des ailes n’est pas brisé, contrairement à de nombreuses autres représentations de sphinx. Les ailes ont ainsi une forme parfaite de faucille. Leur décoration est d’une grande richesse grâce à un jeu successif de reliefs et de creux, de liserés et de cisaillements. Le triple filet séparant le poitrail des épaules se prolonge le long de l’échine et va en s’amenuisant jusqu’au sommet des ailes.
Les ailes sont divisées en trois parties dont les contours sinueux s’épousent. La première partie, lisse et exempte de décorations, est le prolongement de l’épaule, et va jusqu’au sommet des ailes. La seconde partie prend naissance au sommet des pattes antérieures, constituée par une bande de plumes stylisée par des incisions parallèles. La dernière partie, la plus importante, est à la base des ailes semblable à la précédente, mais en progressant vers le sommet des ailes les incisions se détaillent en rémiges (les plus grandes plumes des ailes des oiseaux). Le dessin des rémiges ne suit pas la courbure générale des ailes : le sculpteur a préféré réaliser l’ovale de l’extrémité des plumes en y ajoutant un léger filet en relief afin de les faire ressortir.
L’alternance entre dessins très géométriques, tels que les incisions parallèles du plumage, ou les triples filets de bordure, et éléments réels stylisés, tels que les rémiges ou le plumage du poitrail, confèrent au Sphinx de Naxos un aspect très réaliste, qu’on ne retrouve pas dans les autres Sphinx contemporains. Ce souci du détail – utilisant pourtant des éléments très simples – devait être accentué par la peinture qui devait mettre en évidence les lignes tracées. La forme en faucille de ses ailes est également tout à fait originale : la taille de la statue aurait pu permettre un dessin plus complexe, mais le sculpteur a préféré une plus grande fluidité en évitant les bords coupants, comme c’est également le cas pour les ornements des ailes.
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Le corps du sphinx donne une impression de très grande stabilité : les pattes antérieures, très droites, sont dans le prolongement direct du poitrail. Elles sont pourvues de griffes aux doigts (ou de serres de rapaces ?) qui débordent légèrement sur la plinthe sur laquelle repose le Sphinx. Les coudes, très proches de la jointure des ailes, sont légèrement marqués. On retiendra également que les pattes antérieures ne sont pas d’origine : éléments fragiles, elles ont certainement été détruites, et ont donc été reconstituées en plâtre lors de la restauration du Sphinx au début du XX ème siècle.
Le tronc est très mince, et les côtes légèrement en relief. L’arrière-train est assez disproportionné : les cuisses sont très peu visibles, les fémurs ne semblent pas exister. Il repose également entièrement sur le sol, ce qui est assez rare : dans de nombreuses représentations de sphinx seules les pattes postérieures sont posées à plat, l’arrière-train étant lui légèrement relevé.
On notera également que le Sphinx des Naxiens n’a pas été pourvu de queue. De même le dessin des pattes postérieures est très simple. Là encore, on peut penser que ce choix a été fait parce que ces éléments auraient étés peu visibles. Le corps de l’animal a donc été sculpté en suivant deux impératifs : assurer un bon maintien à la sculpture en améliorant la répartition de son poids grâce à l’arrière-train disproportionné reposant sur le sol, tout en préférant un dessin très fluide, le corps de l’animal devant être en partie caché par le chapiteau de la colonne.
Conclusion
L’originalité du Sphinx des Naxiens réside donc dans tout ce qu’implique sa monumentalité, qui apporte un éclat particulier à la composition déjà étrange d’un sphinx. L’implantation du Sphinx a guidé bien des choix dans sa conception : juché dix mètres au dessus de la foule, il devait marquer par sa richesse et sa symbolique celui qui le regardait, tout en ayant une grande stabilité d’un point de vue plus technique.
Le sculpteur a donc fait preuve d’un goût immodéré pour le détail des ailes et du poitrail, parties les plus visibles au spectateur, qui devaient être rehaussées de couleur vives, mettant en valeur les plumes déjà finement tracé sur des ailes en faucille grâce à des jeux de creux et de reliefs. Le poitrail puissant décoré des mêmes motifs s’appuyait sur deux pattes antérieures rigides, l’ensemble conférant au Sphinx une grande stabilité, lui donnant également un rôle de gardien, comme il sera vu ci-après. Ce souci du détail contraste avec les libertés prises avec la physionomie de l’arrière train, où le dessin est plus lisse et les proportions peu réalistes.
Les deux ailes en faucille forment un arc de cercle parfait avec la nuque et la coiffure aux quatre parotides retombantes et au nœud d’Héraclès, dominant un visage ovale affichant le sourire mystérieux du sphinx. Il n’est à première vue pas adressé au spectateur, les yeux du sphinx se dirigeant droit devant lui. Ceci dit, la très faible largeur de la statue fait qu’il ne devait être vu que de profil, souriant du coin des lèvres à celui qui le regarde.
L’existence de ce sphinx monumental, bien qu’au milieu d’un sanctuaire, peut donc paraître incongrue. Son rôle d’ex-voto des habitants de Naxos est acquis : un autre sphinx originaire de la même île a été retrouvé à Délos, il est possible que le sphinx ait été adopté comme symbole de l’île. De même, une dédicace de 332 a.c. a été déchiffrée sur le socle de la colonne et disait que le privilège de la promantie avait été renouvelé aux habitants de Naxos. Il semble donc que le Sphinx ait été considéré à Delphes comme un étendard de l’île.
Le Sphinx des Naxiens présente donc sur le plan stylistique un grand raffinement, tant dans ses formes que dans sa décoration, tout en présentant de nombreuses originalités rendues nécessaires de par sa monumentalité, rappelant son rôle mélange d’ex-voto.
Voilà, en espérant que ça vous a plu, et en vous disant à la semaine prochaine pour de nouvelles aventures
Marsh Posté le 23-02-2008 à 11:45:18
Merci !
Marsh Posté le 23-02-2008 à 12:03:42
C'est très intéressant tout ça
Et puis l'art est l'une des choses les plus importantes du monde mondial sur Terre, soit dit en passant. L'art et la science. Le reste n'est que babillage intempestif et agitation frénétique et vaine
Donc, tout ça pour dire : drapaaaaaaaaaaaal
Marsh Posté le 23-02-2008 à 12:21:45
T'es très con
Marsh Posté le 23-02-2008 à 12:46:44
C'est l'image qui m'a fait rire
Marsh Posté le 23-02-2008 à 13:23:34
(Merde, j'avais réussi à faire 19 jours de bide quand même )
A ce soir
Marsh Posté le 23-02-2008 à 13:33:42
J'ai étudié un peu l'histoire de l'art en école d'art appliqués mais ça a jamais été mon fort les analyses d'oeuvres
Je suivrais néanmoins ce topic avec grand intérêt
Marsh Posté le 24-02-2008 à 22:07:38
Super sympa ce cours, merci ! Très bon choix pour un premier post, l'oeuvre aussi bien que le texte sont très intéressants... Tu me donne encore plus envie d'aller à Delphes, et j'en avais déjà très, très envie !
Marsh Posté le 24-02-2008 à 22:33:55
trois années d'histoire de l'art et me souviens pas de tout pourtant j'ai eu de bonnes notes c'est très intéressant je vais m'y remettre un de ces quatres mais c'est si vaste...
Marsh Posté le 24-02-2008 à 22:39:45
ReplyMarsh Posté le 24-02-2008 à 22:43:57
potemkin a écrit : Tu peux nous parler du Colosse de Rhodes Vanishou? |
Je ne sais absolument rien là dessus, à part que ses papattes ne formaient pas une arche sous laquelle les bateaux passaient, ça c'est un fantasme de la Renaissance
Ce soir ça va être un tableau du Caravage mes loulous
Marsh Posté le 24-02-2008 à 22:44:46
potemkin a écrit : |
N'empêche j'ai cette image (sans le drapal) collée sur mon classeur d'histoire de l'art, ça a fait forte impression les premiers jours
Marsh Posté le 24-02-2008 à 22:45:28
potemkin a écrit :
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Pas autant que Popole :
Que fout-il en short ???
edit : ah nan il a un collant de paidai, au temps pour moi
Marsh Posté le 24-02-2008 à 23:18:52
vandread a écrit : |
vandread a écrit : |
Tu peux ma la filer sans drapal?
Marsh Posté le 24-02-2008 à 23:19:50
La mode du slim ds les bottes n'a rien de nouveau, les fashion-girls vont être déçues
Marsh Posté le 25-02-2008 à 17:15:43
Drapal aussi.
Puisque topic unique, peut-être faudrait-il voir à agrémenter de quelques liens, conférences en ligne, biblio etplus si affinités ?
Bon courage...
Marsh Posté le 04-02-2008 à 00:16:36
L’histoire de l’art, c’est le bien. Quand on vous dit Histoire de l’Art, forcément, on pense tout de suite aux étudiants à cheveux longs fumeurs de marie-jeanne, qui ont 15h de cours par semaine et qui iront pour 90% d’entre eux pointer 1 an à l’ANPE après avoir eu leur diplôme, si du moins ils l’ont eu, ces feignasses. Pour aller droit au but, tout cela est à peu près vrai, et on pourrait ajouter que ce sont tous des gens extrêmement sympathiques. Mais la matière, qu’en est-il ? Forcément, dire qu’on disserte pendant une heure sur l’orfèvrerie carolingienne liturgique du VIIIè siècle, ça prête à sourire. Mais en soit le sujet est ardu, et tout à fait empreint d’intérêt, car il exige, contrairement aux apparences, une rigueur remarquable qui n’a parfois pas grand-chose à envier aux sciences exactes, si si, c’est vrai
Donc l’HdlA, c’est quoi ? L'histoire de l'art a pour objet l'étude des œuvres dans l'histoire, et du sens qu'elles peuvent prendre. Elle étudie également les processus de création des artistes, la reconnaissance du phénomène artistique par un public, ainsi que le contexte spirituel, culturel et social de l'art. C’est pas moi qui le dit, c’est Wikipedia, mais c’est une définition qui a toute sa place ici. L’HdlA, ce n’est pas une œuvre ou un ensemble d’œuvres, mais avant tout un contexte, un concept. Donc autant le dire tout de suite, contrairement aux apparences, c’est une matière où on fait tout sauf catégoriser, puisque rien ni personne n’aura jamais été totalement blanc ou totalement noir : c’est pourquoi nombre d’historiens de l’art rechignent à employer les termes en –isme. La tendance actuelle étant par ailleurs à un rejet de l’approche occidentale de l’œuvre d’art, et à la recherche d’une doctrine plus universelle de considération de l’œuvre d’art.
Enfin bref, ça laisse un champ d’études large, de l’urne funéraire étrusque au tableau de Delacroix en passant par les masques africains. Vaste programme. Sur ce topoc je compte donc si le temps me le permet faire un petit topo hebdomadaire, que je ne promet pas impeccable, sur une œuvre d’art (peinture, sculpture, bâtiment, etc), on pourra discuter en Ol’ Gentleman’s Club des dernières trouvailles artistiques, bref, ça va être le grand kif. Et si les historiens de l’art, qu’ils soient étudiants ou profs, pouvaient se signaler, ce serait trop chou
A bientôt