Un bateau dans le Pacifique - Arts & Lecture - Discussions
MarshPosté le 17-09-2005 à 23:16:39
Un bateau dans le Pacifique
Je rentrais du bureau, où j'avais passé une journée de plus à regarder bêtement mon écran et à me demander combien de temps mon entreprise allait encore pouvoir me garder. Le bogue de l'an 2000 et le passage à l'euro, qui avaient suscité tant d'enthousiasme de la part des journalistes « il manquera cinq mille informaticiens en 2010 », avaient-ils clamé bien haut , étaient retombés aussi vite qu'un soufflé aux champignons raté. Le moral des troupes était morose, chacun se demandant à quoi il pourrait bien servir, ses deux mains ne sachant rien faire d'autre que d'appuyer sur les touches d'un clavier d'ordinateur ou sur la manette d'une console de jeux vidéo. De héros, grands combattants du bogue géant qui mettait la société technicienne en péril, nous, informaticiens, étions devenus aussi embarrassants et inutiles que ces vieux lecteurs de cassettes au son inaudible dont personne ne veut plus.
Dans le métro, mon regard fut attiré par une image pleine de soleil qui contrastait furieusement avec l'air gris et épais que l'on respire au fond des artères souterraines. Sur un paquebot, au bord d'une piscine, allongé sur un transat, un homme bronzé, vêtu d'une chemise à fleurs, tenait sur ses genoux un ordinateur portable. À sa gauche, un cocktail à peine entamé, rempli de glaçons et coiffé d'un petit parasol pour le protéger de la chaleur bienfaisante. Lhomme au premier plan était un informaticien trentenaire bourré de muscles et de dents blanches. Il ne me ressemblait pas tout à fait, mais était limage que jaurais aimé donner de moi-même, image contre laquelle tout informaticien aimerait troquer ses carreaux de lunettes, ses boutons et ses dents que des années de souffrances orthodontiques nont pas suffi à discipliner. À larrière-plan, des femmes en bikini se faisaient bronzer ou nageaient. Un léger flou les voilait pudiquement, mais je me rendis compte que labsence dhommes parmi toutes ces formes féminines avait été perçue par mon inconscient dès la première seconde où mon regard sétait posé sur laffiche.
Au-dessus de ce bateau de rêve, de ces corps de rêve, de ce soleil de rêve, brillait l'annonce d'un travail de rêve pour informaticien déchu : « Travaillez sur un bateau, au milieu du Pacifique. » Puis, en plus petit : « Vous êtes jeune, vous parlez anglais couramment. Vous êtes un développeur informaticien confirmé. Vous cherchez un emploi motivant alliant engagement personnel et découverte de nouveaux horizons. Embarquez-vous pendant six mois à bord de notre bateau pour participer au développement du nouveau système dexploitation de la World Soft Company Inc. et à lune des plus fabuleuses aventures de votre carrière professionnelle. » Suivaient les coordonnées du site internet sur lequel il était demandé de sinscrire. Pas de numéro de téléphone, ni dadresse, même électronique...
Marsh Posté le 17-09-2005 à 23:16:39
Un bateau dans le Pacifique
Je rentrais du bureau, où j'avais passé une journée de plus à regarder bêtement mon écran et à me demander combien de temps mon entreprise allait encore pouvoir me garder. Le bogue de l'an 2000 et le passage à l'euro, qui avaient suscité tant d'enthousiasme de la part des journalistes « il manquera cinq mille informaticiens en 2010 », avaient-ils clamé bien haut , étaient retombés aussi vite qu'un soufflé aux champignons raté. Le moral des troupes était morose, chacun se demandant à quoi il pourrait bien servir, ses deux mains ne sachant rien faire d'autre que d'appuyer sur les touches d'un clavier d'ordinateur ou sur la manette d'une console de jeux vidéo. De héros, grands combattants du bogue géant qui mettait la société technicienne en péril, nous, informaticiens, étions devenus aussi embarrassants et inutiles que ces vieux lecteurs de cassettes au son inaudible dont personne ne veut plus.
Dans le métro, mon regard fut attiré par une image pleine de soleil qui contrastait furieusement avec l'air gris et épais que l'on respire au fond des artères souterraines. Sur un paquebot, au bord d'une piscine, allongé sur un transat, un homme bronzé, vêtu d'une chemise à fleurs, tenait sur ses genoux un ordinateur portable. À sa gauche, un cocktail à peine entamé, rempli de glaçons et coiffé d'un petit parasol pour le protéger de la chaleur bienfaisante. Lhomme au premier plan était un informaticien trentenaire bourré de muscles et de dents blanches. Il ne me ressemblait pas tout à fait, mais était limage que jaurais aimé donner de moi-même, image contre laquelle tout informaticien aimerait troquer ses carreaux de lunettes, ses boutons et ses dents que des années de souffrances orthodontiques nont pas suffi à discipliner. À larrière-plan, des femmes en bikini se faisaient bronzer ou nageaient. Un léger flou les voilait pudiquement, mais je me rendis compte que labsence dhommes parmi toutes ces formes féminines avait été perçue par mon inconscient dès la première seconde où mon regard sétait posé sur laffiche.
Au-dessus de ce bateau de rêve, de ces corps de rêve, de ce soleil de rêve, brillait l'annonce d'un travail de rêve pour informaticien déchu : « Travaillez sur un bateau, au milieu du Pacifique. » Puis, en plus petit : « Vous êtes jeune, vous parlez anglais couramment. Vous êtes un développeur informaticien confirmé. Vous cherchez un emploi motivant alliant engagement personnel et découverte de nouveaux horizons. Embarquez-vous pendant six mois à bord de notre bateau pour participer au développement du nouveau système dexploitation de la World Soft Company Inc. et à lune des plus fabuleuses aventures de votre carrière professionnelle. » Suivaient les coordonnées du site internet sur lequel il était demandé de sinscrire. Pas de numéro de téléphone, ni dadresse, même électronique...
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