Il n'y a pas eu d'art sans amour" (Félicien Rops)

Il n'y a pas eu d'art sans amour" (Félicien Rops) - Arts & Lecture - Discussions

Marsh Posté le 18-01-2003 à 13:45:35    

Je suis en train de lire avec délectation les écrits sur l'art du belge Félicien Rops parus sous le titre,
 
"Mémoires pour nuire à l'histoire artistique de mon temps".
 
J'aimais déjà ses oeuvres, j'ai été touchée par son esthétique vivante dont je me sens parente. Comme Lautrec, il préférait peindre la vie des filles de joie que les faire poser en robe de velours pour reconstituer artificiellement des bourgeoises figées, fabriquées de toutes pièces, dans les mains desquelles on auvait collé un vase japonais. A l'opposé, Rops était un vrai peintre de la vie, de la chair, de son temps... et de l'imaginaire aussi.
Je ne résiste pas à la tentation de vous livrer ici une des lettres de celui qui fut le confident de Baudelaire et de Millet.  
 
(Brouillon de lettre à Octave Pirmez)
 
C'est bal à l'opéra et [...] l'heure du ribaudement, le Gaz éclaire et fait briller les guenilles (des fonds jaunes sur un ciel gris) il y a fermentation humaine. Les filles d'amoureuse vie relèvent leurs jupons et se cabrent aux bras des gandins idiots. J'enveloppe ma dépouille mortelle dans le manteau de ma philosophie et je regarde passer mes contemporains - le monde est si désespérément goitreux.
Si l'amour surnage tout survivre voilà un mois que je suis à Paris sans voir paris. Je vis au Louvre, à la bibliothèque, avec les Grands, les forts, les anciens, leurs voix paraissent rudes au premier abord, le novice interdit les questionne avec crainte, mais plus on les écoute plus la corde grave s'attendrit, leur parole devient douce et bientôt s'imprègne de notes amoureuses et passionnées. Il n'y a pas eu d'Art sans amour. Ce n'est que pour ses amoureux ardents que la Nature, la mystérieuse Isis dénoue sa ceinture et laisse tomber ses bandelettes, elle ne dit ses secrets qu'aux audacieux qui soulèvent d'une main frémissante son manteau tout constellé d'étoiles.
Remontez le chemin lumineux des artistes et des poètes : les vers d'Horace sont encore tout parfumés des roses de Lydie et les flots de la mer Ionienne murmurent encore les harmonieuses rêveries d'Anacréon. Allez vous agenouiller sur le tombeau de Béatrix. Courbez-vous sous les voûtes de la Sixtine. Secouez la poussière des tempes de Minerve, interrogez le sphinx endormi sous le soleil égyptien ; allez de Phidias à Michel-Ange, du Tasse à Corneille, de Cimarosa à Rossini, du Caravage au blond Van Dyck partout vous verrez l'amour s'incruster dans le marbre, suivre la cadence poétique, soupirer dans les mélodies et rayonner dans la couleur et dans la forme.
Quels grands artistes mais quels plus grands amoureux ! Vois-tu mon cher Octave, Dieu a taillé l'âme des artistes et des poètes comme on taille un diamant pour faire refléter la lumière, on a beau chiffrer et s'abêtir, une ode vaudra toujours mieux qu'une addition, un baiser de deux belles lèvres est préférable à une sentence d'économie politique, la coupe et l'élévation d'un vers de Musset valent mieux que la coupe et l'élévation d'un plan. Cela n'a pas de bon sens ! pardieu ! - il ne manquerait plus aux artistes et aux poètes que d'avoir du Bon Sens ! - mais les Choisis, les Heureux, les Elus ont l'amour, ont la folie et n'ont pas de bon sens ! - Est-ce que Raphaël qui se laisse mourir à 30 ans sous les baisers de la Fornarina a du bon sens ? Salvatore Rosa qui peint de la main droite et ferraille de la main gauche n'a pas de bon sens ; Villon qui dormait à la belle étoile, sur le pavé du Roi de France ; Christophe Colomb qui cherche un monde ; Galilée, Vésale, J. D'Arc, Charlotte Corday, Victor Hugo, Jésus Christ, le sublime dupé, tous ceux qui ont une mission de grandeur ou de sacrifice ont-ils du bon sens ? Non mais un bottier en a. Bon sens, qualité banale, vulgaire, prudhommesque, sortie de l'ordure utilitaire comme Vénus est sortie de l'onde ! Bon sens ! fils de l'Utilitarisme, divinité moderne et grotesque qui porte des caoutchoucs, un parapluie-canne, un chapeau gibus sur la tête et la bêtise en-dessous !
 
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La verve de ce bouquin est superbe ! Je vous en conseille vivement la lecture. Il ose sortir des sentiers battus de son époque et développer une critique artistique acerbe, en affirmant par exemple que "le Laocoon n'est qu'un fabriquant de boudin exalté" (warf !)
Et pour les amateurs, il existe un musée félicien Rops à Namur  
http://www.ciger.be/rops
 
http://192.41.13.240/artchive/g/greek/thumbs/laocoon.jpg
 
http://www.beautyandruin.com/findesiecle/fin/rops9.jpg
 
http://www.beautyandruin.com/findesiecle/fin/rops6.jpg
 
http://home.nordnet.fr/~xglaine/ropsbouge.jpg
 
Ca fait très "Belle Epoque", style Baudelaire hein ... errer dans les rues de Paris, une bouteille d'absinthe(rikar) à la main, en déclamant du Villon ... bon avec un petit côté poète(sse)-maudit-prégothique-à-la-mèche-rebelle-dans-le-vent  ...  
Ca me fait vaguement penser à du Poe aussi ...  
Très sympathique en tout cas ..


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#AOC2024 & #2028
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Marsh Posté le 18-01-2003 à 13:45:35   

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Marsh Posté le 18-01-2003 à 13:46:29    

ahhhh..Rops...un de mes preferés...


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" ...arrêté par les flics avec 4g de sang par litre d'alcool... "
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Marsh Posté le 18-01-2003 à 13:46:54    

Son musée à Namur est très bien aussi.  Pour ceux qui savent s'y rendre ça vaut la peine d'y aller.


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"Le courageux n'est pas celui qui n'a jamais peur mais celui qui agit malgré sa peur..."
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Marsh Posté le 18-01-2003 à 13:47:45    

Vraiment très hard cette transition :D

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Marsh Posté le 24-01-2003 à 23:21:19    

Citation :

Si l'amour surnage tout survivre [a?] voilà un mois que je suis à Paris sans voir paris. Je vis au Louvre, à la bibliothèque, avec les Grands, les forts, les anciens, leurs voix paraissent rudes au premier abord, le novice interdit les questionne avec crainte, mais plus on les écoute plus la corde grave s'attendrit, leur parole devient douce et bientôt s'imprègne de notes amoureuses et passionnées.  
(...)
Quels grands artistes mais quels plus grands amoureux ! Vois-tu mon cher Octave, Dieu a taillé l'âme des artistes et des poètes comme on taille un diamant pour faire refléter la lumière, on a beau chiffrer et s'abêtir, une ode vaudra toujours mieux qu'une addition, un baiser de deux belles lèvres est préférable à une sentence d'économie politique, la coupe et l'élévation d'un vers de Musset valent mieux que la coupe et l'élévation d'un plan. Cela n'a pas de bon sens ! pardieu ! - il ne manquerait plus aux artistes et aux poètes que d'avoir du Bon Sens ! - mais les Choisis, les Heureux, les Elus ont l'amour, ont la folie et n'ont pas de bon sens ! - Est-ce que Raphaël qui se laisse mourir à 30 ans sous les baisers de la Fornarina a du bon sens ?


C'est beau ça Meg !
ça fait un peu penser à Balzac. J'ai trouvé que ça, vaguement en rapport avec le début :
 
" Paris ne me distrait pas, il me fatigue, il m'excède. Se promener dans Paris, c'est encore penser. "
(Balzac, Lettres à Mme Hanska, 02/03/1843)
 
" L'attention du jeune homme fut bientôt exclusivement acquise à un tableau qui, par ce temps de trouble et de révolutions, était déjà devenu célèbre, et que visitaient quelques-uns de ces entêtés auquels on doit la conservation du feu sacré pendant les jours mauvais."
(Balzac, Le chef-d'oeuvre inconnu)

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